Journal l'Humanité

Un jeune homme nommé Pierre Georges

Alors que l’Association nationale des anciens combattants de la Résistance commémore le cinquantième anniversaire de la mort du colonel Fabien, aujourd’hui à 10 h 30 au Père-Lachaise, Pierre Durand, qui fut son compagnon d’arme pendant la Résistance, raconte la destinée flamboyante de ce jeune héros.

A une même table longue et polie par les ans, une dizaine de personnes, jeunes, lisaient des journaux et des livres. Nul ne parlait. Face à moi, il y avait Albert. A ma droite un officier de la Wehrmacht. C’était à la bibliothèque universitaire de Nancy en octobre 1943. Albert et moi-même, nous portions chacun un revolver bien caché. L’officier aussi. Bien en vue.

Albert commandait alors l’inter-région FTP de l’est de la France et je faisais partie de son état-major. La bibliothèque de Nancy était bien commode et relativement chauffée. Entre deux rendez-vous, deux missions, elle offrait un abri assez sûr. Albert, qui s’était appelé Fredo et qui deviendra Fabien, avait alors vingt-quatre ans. De taille moyenne, la chevelure châtain et ondulée, je le voyais souvent essuyer une larme perlant à l’un de ses yeux, le gauche, je crois. Une balle était passée tout près, laissant une vilaine blessure. Au ventre, une large cicatrice lui rappelait la guerre d’Espagne, alors qu’à la tête de sa section, sur le front de l’Ebre, il avait été grièvement atteint par les balles franquistes. C’était le 19 mars 1938.

Un résistant anti-fasciste

Depuis, Pierre Georges - car tel était son nom véritable - dirigeant des Jeunesses communistes, arrêté en 1939 par ceux qui trahissaient la France, évadé, n’avait cessé de se battre contre le fascisme, contre les nazis occupant la France à partir de juin 1940, contre leurs complices de Vichy. Il avait contribué avec une ardeur sans limite à mettre sur pied la Résistance dans le Périgord, dans la région de Toulouse, dans celle de Marseille et en Corse, à Lyon...

Appelé à Paris par la direction clandestine du Parti communiste, il devient, sous les ordres du colonel Ouzoulias, l’organisateur des « Bataillons de la Jeunesse ». Il va donner en personne l’exemple spectaculaire de l’action armée contre l’ennemi en abattant au métro Barbès un officier allemand, Alfons Moser, le 21 août 1941. Le même jour, le quotidien « le Matin » avait publié en première page un communiqué du Commandement militaire allemand en France : « Pour activité en faveur de l’ennemi, le juif Samuel Tyszelmann et le nommé Henri Gautherot, tous deux domiciliés à Paris, ont été condamnés à mort. Ils avaient participé à une manifestation communiste dirigée contre les troupes d’occupation allemandes. En exécution de l’arrêt, ils ont été fusillés. » Tyszelmann et Gautherot étaient deux camarades de Pierre Georges.

L’exemple de l’action armée

Et la Résistance continue. Elle se développe. Celui qui deviendra Fabien organise dans le département du Doubs ce qui sera le premier maquis de France. Blessé, il parvient à échapper à l’assaut en se jetant dans le Doubs. Il rejoint Paris, y est arrêté, passe par diverses prisons, dont celle de Dijon, est finalement interné au fort de Romainville. Sa femme, Andrée, est incarcérée également. Elle sera déportée à Ravensbrück. Fabien, lui, dont le père a été fusillé comme otage au Mont Valérien, parvient à s’évader de Romainville dans des circonstances acrobatiques.

Au début de 1943, il est de nouveau en Franche-Comté. Vers la fin de l’année, dans une situation devenue brûlante, toutes les polices le recherchant, il m’annonce son départ pour le centre de la France, sans autre précision, bien entendu. Je le remplace. Arrêté et déporté sans que l’ennemi ne parvienne à connaître mon rôle, je ne le reverrai plus, sinon sur la photo de lui qui est affichée dans l’un des bureaux de la Feldgendarmerie où je serai interrogé.

Fabien prépare une évasion massive des patriotes enfermés à la prison de Blois, il dirige une école de cadres des FTPF dans l’Oise, il prépare la bataille du débarquement en Bretagne, il échappe mille fois à la mort. Et c’est la libération de Paris où il joue un rôle très important (il est une fois de plus blessé), notamment lors de la prise du palais du Luxembourg, l’un des points d’appui principaux de l’ennemi dans la capitale.

Sans perdre de temps, Fabien met sur pied le « 1er régiment de Paris » qui va devenir le « Groupe tactique Lorraine » (mais tout le monde parle de « la colonne Fabien »). Le général de Lattre de Tassigny va en faire le 151e régiment d’infanterie. Il a pour Fabien la plus vive admiration, il souhaiterait qu’on le nomme général.

Et c’est la catastrophe. Dans des circonstances qui n’ont jamais vraiment été éclaircies, une mine explose à l’état-major du colonel Fabien, le 27 décembre 1944, vers 21 h 20, à Habsheim, sur les bords du Rhin que l’armée française s’apprêtait à franchir. Avec Fabien, meurent le lieutenant-colonel Dax-Pimpaud, le capitaine Blanco, le capitaine Lebon, le capitaine Katz, Gilberte Lavaire, qui avait été l’agent de liaison de Fabien depuis 1943 et assurait son secrétariat à l’état-major. Il y eut, en outre, neuf blessés.

Le 3 janvier 1944, le colonel Fabien, le lieutenant-colonel Dax et le capitaine Lebon, ses plus proches compagnons, étaient inhumés au Père-Lachaise, après des cérémonies au Val-de-Grâce et à l’Hôtel de Ville de Paris. Une foule immense assiste à ces obsèques officielles, de caractère militaire, en présence des plus hauts représentants de la Résistance et de l’Etat.

Fabien aurait détesté que l’on parle de lui comme d’un héros. Il le fut cependant. Il reste en tout cas un exemple, à condition de trouver dans sa vie ce qui en fut l’essentiel. « Quand le futur a du mal à se frayer son chemin, quand la résignation est à la mode, leur exemple (celui des jeunes résistants), peut nous être utile », a écrit le poète Francis Combes. « Si hier le courage était de prendre les armes, peut-être est-il aujourd’hui de s’engager, face à la crise et au déclin national, dans une nouvelle Résistance. Peut-être est-il de ne pas baisser les bras, de remettre en cause les idées reçues, de lutter et d’essayer d’inventer notre avenir. » (1).

(1) In préface au livre de Pierre Durand « Qui a tué Fabien ? » (Messidor, 1985).

PIERRE DURAND