Le Prix du Grand Ouest pour

«La mémoire retrouvée des Républicains espagnols»

de Gabrielle Garcia et Isabelle Matas, publié par les Editions Ouest-France



Isabelle Matas et Gabrielle Garcia
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Depuis sa création, par Rober Merle, il y a cinquante et un ans, l’Association des Ecrivains de l’Ouest décerne chaque année des prix littéraires.  Elle nous a attribué le « Prix du Grand Ouest », geste fort en cette année 2006 où l’on a commémoré le 75ème anniversaire de la République espagnole.

 C’est en février 2001 qu’Isabelle et moi avions entrepris ce travail de mémoire afin que l’histoire des républicains espagnols soit connue et reconnue, en Espagne comme en France. Le livre, bâti à partir de quelques témoignages, devait rendre compte des combats et des souffrances de nos pères. Pour cela, nous devions éclairer les témoignages par des interrogations et des analyses, traitées à travers notre sensibilité d’enfants de républicains espagnols et nos convictions d’humanistes. Le message a été compris et apprécié. 

 Le prix nous a été remis le 20 décembre dans les salons de l’Hôtel de Ville de Rennes. Voici la présentation du livre faite par Michel Denis, historien, Président d’Honneur de «l’ Association des Ecrivains de l’ Ouest». Qu’il soit remercié pour ses paroles. 

 Gabrielle Garcia



Au centre, Gabrielle Garcia et Isabelle Matas
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On croit les connaître, les survivants de l’armée républicaine espagnole, réfugiés en France en 1939,  et leurs enfants nés sur notre sol. Mais en réalité que sait-on d’eux ?

Tout a concouru à les rendre discrets. Ils sont arrivés souvent stigmatisés par notre presse nationale en raison d’excès commis par quelques uns des leurs. Alors qu’ils étaient les vrais démocrates, victimes d’un coup d’Etat soutenu par l’Axe, ils n’ont pas toujours été les bienvenus. Ils ont franchi la frontière si nombreux que les pouvoirs publics, englués dans le calamiteux principe de la non-intervention, n’ont pas su et n’ont pas cherché à les accueillir dignement. Ils sont venus avec la conviction d’un retour prochain au pays mais le cours de l’histoire a laminé leurs espoirs. Leur propre malheur s’est fondu dans le malheur généralisé résultant de la seconde guerre mondiale, puis – à l’époque de la guerre froide - ils sont devenus presque gênants lorsque les Occidentaux ont fait risette au franquisme.

Ainsi on les a oubliés chez nous, où ils ont travaillé durement et où certains ont même participé à la Résistance par antifascisme, allant jusqu’à la mort, mais leur a-t-on accordé une reconnaissance identique à celle qu’on réservait aux patriotes ? J’en doute.

On les a oubliés chez nous, mais on les a oubliés aussi chez eux. On les a oubliés dans leurs familles ralliées ou résignées à la dictature. On les a oubliés après la mort de Franco afin de faciliter la transition démocratique. Pendant deux tiers de siècle, ils ont attendu qu’on prête l’oreille à leur parole, ou plutôt qu’on commence à l’entendre, car je sens encore insupportable à beaucoup leur témoignage.

C’est cette misère que Gabrielle Garcia et Isabelle Matas, toutes deux filles de combattants républicains et toutes deux issues de mariage mixte, ont voulu faire resurgir en interrogeant des exilés espagnols d’Ille et Vilaine ainsi que les enfants d’exilés. Des confidences sans fard, parfois brutales et dures à entendre, reliées par d’émouvantes interrogations et de fines analyses, éclairent d’une lumière crue la condition difficile de l’expatrié en terre étrangère.

L’accueil ? Trop souvent méfiant et même hostile jalonné de vexations multiples car, dit l’un de ces réfugiés «  on a eu la réputation qu’on a bien voulu nous donner ».

L’intégration ? Pourquoi l’auraient-ils recherchée puisque dans leur esprit ils étaient seulement de passage et que son chemin risquait d’être aussi celui de l’oubli. Et pourtant au fur et à mesure que les années passent l’Espagne leur devient à son tour étrangère, à tel point que l’une des auteures confie ceci à propos de son père : « De quel pays, sur la fin, se réclamait-il ? Je ne sais pas. »

On parle souvent de la souffrance de l’exilé. Souffrance matérielle et souffrance psychologique. Ce témoignage que nous avons voulu récompenser comme tel, nous en montre toutes les facettes :

- à l’arrivée, le camp de concentration - eh ! oui, l’expression est du ministre Albert Sarraut – camp d’ Argelès puis à Rennes, camp dit de Verdun ( mon plus ancien souvenir de ce que peut–être la découverte par un enfant de la misère d’un peuple !)

-  puis sous l’occupation allemande, la suspicion qui s’accroît et le transfert d’un grand nombre de réfugiés vers le Mur de l’Atlantique ou les îles anglo-normandes pour y travailler comme forçats ;

-  après la guerre, la précarité du logement et de l’emploi, aggravée par la fragilité du statut juridique, du moins jusqu’à la convention de Genève de 1951 ;

et par-dessus tout cela les souffrances morales engendrées par le déracinement.

 Nous connaissons tous des personnes qui portent un nom bizarre, ne ressemblant ni à Dupont, ni à Durand, ni à Denis. Ce qu’elles attendent de nous, ce n’est pas nécessairement notre compassion mais c’est du respect et parfois d’un peu de compréhension. Le regard que nous jetons sur l’Autre, s’il est simplement mais pleinement humain, est le premier baume que nous puissions leur apporter

Finalement je crois que ce témoignage, bâti à partir des réactions d’une poignée de républicains espagnols, a une portée générale. Gabrielle Garcia nous le suggère elle- même lorsqu’au retour de son premier voyage en Andalousie, elle découvre les dossiers de Pedro Flores Cano, chef des résistants espagnols de Bretagne, exécuté au Colombier le 8 juin 1944 : « Ils me renvoyaient à un moi enfoui. Son regard maintes fois observé sur la photo, cachait d’autres regards, ceux des travailleurs émigrés avec qui j’avais voyagé, paysans sans terre, qui durent partir à l’étranger parce que leurs pères avaient perdu la guerre contre  la faim et l’injustice. »

Aujourd’hui comme hier, et sans doute hélas comme demain encore, n’y a-t-il pas, venus de divers coins du monde, d’autres visages qui se profilent et qui nous jugent à l’accueil que nous leur réservons. Ce n’est pas nier la spécificité du cas des républicains espagnols que de croire à la portée universelle du message implicite que nous livre cette brassée de témoignages.

Michel Denis

*Association des Ecrivains de l’Ouest :

 Président : Michel Renouard

Anciens  Présidents : Robert Merle, Théophile Briant,  Jean de la Varende, Hervé Bazin, Yvonne Meynier, Michel Velmans, Henri  de Grandmaison,  Jacques Gohier,  Jean-Marie Chaumeil, Jean-Pierre Cressard, Michel Denis